An 3493, 30 février. Jour férié ajouté au calendrier, ce que pourquoi nous l’allons voir.
Acte 1

Où l’on verra qu’il existe un temps mesurable, quoiqu’infinitésimal, entre la pensée et le geste.
Car, je l’ai déjà dit et je le répète, la science ne saurait être ce qu’elle est si elle n’était régie par des lois. Sans expériences réalisées dans un cadre stricte et rigoureux, nous serions toujours empêtrés dans les limbes d’un sombre moyen-âge marécageux, dans le monde austère de l’obscurantisme non éclairé : En un mot : Dans les profondeurs abyssales de la triste et vaine médiocrité.
Année 1981. Institut des sciences humaines, Paris. En tant que technicien, j’ai participé à d’intéressantes expériences. En voici une qui illustrera avantageusement notre propos. L’expérience : Il s’agit de mesurer le temps de réponse qui sépare l’oreille de la main. Le temps de réaction entre perception orale et application gestuelle.
Le matériel : Nous disposons d’un carrousel Kodak. D’un magnétophone Revox PR99 auquel nous avons adjoint un système de topage pour le rendre synchrone, ainsi que d’un générateur BF générant (comme il se doit) un signal d’1 Khertz. D’un chronomètre digital sensible au nano près, avec télécommande manuelle (le buzzer), le tout complété par un fréquencemètre et d’un décibelmètre Techtronik. Nous avons ajusté la tare du chrono afin de ne pas tenir compte du temps de réponse mécanique du matériel.
L’application : Dans une salle munie d’écrans acoustiques destinés à diriger le son : Le projecteur diapo relié au magnétophone, lui-même relié au compteur et à son buzzer.
Le projecteur diapo déclenche par topage le magnétophone (mais l’écran reste noir),ledit magnétophone envoie un signal 1000 hertz à -3 dB. (donc assez fort, mais pas trop) Le compteur démarre.
Le cobaye entend le signal, demande au cerveau d’actionner son bras et sa main appuie sur le buzzer. Le compteur stoppe et affiche une valeur de l’ordre du 10ème de seconde. Pour en être certains, nous avons réitéré l’expérience une cinquantaine de fois avec différents volontaires. Nous avons maintenant capturé 50 dixièmes de seconde dans notre chronomètre.
Mais qu’en faire ? Le relâcher dans la nature ? Ce micro-temps est captif, nous ne le relâcherons pas. Nenni ! D’ailleurs, j’ai horreur du gaspillage.
On s’interroge. Quid ? Que faire ?
L’expérience du chrono n’était qu’une étape, nous passons la main... Dans le futur peut-être saura-t-on utiliser le temps. Nous, nous ne savons que le passer...
Il y a certainement mieux à faire, alors pour les générations futures on cryogénise notre précieux chronomètre en plongeant ce dernier dans un conteneur étanche, empli d’un mélange fumant : Hydrogène et azote liquide. On ferme le sas et on met au congélateur.
Dans un avenir incertain, un savant illuminé saura peut-être utiliser ces 50 dixièmes de seconde. Peut-être que, grâce à nous, il aura un quelconque contrôle sur le temps.
A l’instar de Volta, on peut imaginer qu’il arrivera à conserver le temps dans des sortes d’accus car, après tout, il n’est qu’énergie, une énergie qui nous pousse en avant, toujours plus en avant, Altus, Fortis, Longus (dixit Pierre de Coubertin)
ACTE 2
l’invention : le contrôle du temps
Au laboratoire du professeur Isséo Santiahano (un basque d’origine mexicaine), génial chercheur.
Cela fait maintenant un an déjà qu’il a sorti le conteneur du congélateur : Soigneusement et méthodiquement, il dépose à l’aide de bras articulés le précieux conteneur témoin d’un autre temps, dans une pièce vitrée et néanmoins stérile. Il réchauffe la pièce gradient par gradient jusqu’à la température ambiante.
Ceci fait, avec les bras articulés, il dévisse lentement la fermeture du sas. La pièce à demi-sortie, il devine déjà de quoi il s’agit. « Une belle boite en ébénisterie, façon Acajou, deux gros cadrans cerclés de chrome et trois boutons sur le dessus : Nul doute, c’est un chronomètre qui contient un peu de temps jadis !
Vite, ne pas perdre de temps, le temps ! Et ne pas abîmer le chronomètre, il y aurait des fuites... et pas des fuites en avant, mais plutôt un recul » Il sort le chronomètre de son écrin, l’installe sur son plan de travail et branche ses instruments.
Cela fait pas mal de temps qu’il consacre ses recherches au temps. Son but : Gagner du temps, soit en superposant du temps au temps, soit en rajoutant des fragments de temps perdu au temps présent. « Le temps sera accumulé dans des sortes de piles et pourra être utilisé à bon escient, comme on dit en Arménie. »
Il se propose de libérer 10 dixièmes de seconde. Le chronomètre face à lui, il appuie sur le bouton...
La réaction est immédiate :
« Comme on dit en Arménie. » Il se propose de libérer 10 dixièmes de seconde... le chronomètre face à lui, il appuie sur le bouton...
"C’est extraordinaire, j’ai fait un saut de 10 dixième de seconde !"
Tentons maintenant de libérer 40 dixièmes. Il appuie sur le bouton...
La réaction :
« Le temps sera accumulé dans des sortes de piles et pourra être utilisé à bon escient, comme on dit en Arménie. » ... Il se propose de libérer 10 dixièmes de seconde. Le chronomètre face à lui, il appuie sur le bouton... "C’est extraordinaire, j’ai fait un saut de 10 dixième de seconde !" Tentons maintenant de libérer 40 dixièmes. Il appuie sur le bouton...
"C’est dingue, j’ai fait un saut de 40 dixièmes dans le passé !"
Bon, maintenant j’ai la pièce maîtresse qui manquait à mon puzzle : c’est avec un chrono que l’on emprisonne le temps. Je peux maintenant achever mon œuvre : la chronopile, l’accumulateur de temps.
Plus de temps pour soigner les malades Dans les entreprises on pourra travailler 10h au lieu de 7h avec la sensation de n’avoir travailler que le temps imparti. La montre indique 7h et non 10 puisqu’on bénéficie de 3h de « non-temps » Donc efficacité, rentabilité, performances...
Il y aura certainement des implications négatives, mais, après tout, Isséo se dit qu’il est chercheur, physicien et qu’il travaille pour la science, uniquement pour la science.
Le maestro du temps cherche actuellement à adapter la chronopile pour les chiens, de manière qu’ils puissent suivre leurs maîtres durant les longs week-ends : le Chrononos.
En effet les week-ends peuvent durer plus longtemps, si on a les moyens d’acheter du temps, ce qui n’est pas donné à tout le monde, car la « chronopile » coûte cher, très cher, le temps libre est une denrée rare, d’où vols, corruption, malversations, échauffourées, vols à la tire et autres billevesées.
Partout le même mot d’ordre, partout des affiches, dans le ciel des messages au laser : On est instamment prié de rapporter le temps perdu à l’institut Santiahano, rue Dutan, Bécon-les-Gonesses
Mais étudions en détail cette incroyable invention :
Un an après la découverte de l’antique chronomètre... L’idée, accumuler du temps libre ou du temps perdu pour en disposer quand le temps sera venu. Simple.
Retour donc au laboratoire de hautes recherche en Physico-Electro-Temporalité d’Energie Relativiste, la PETER, et voyons de plus près cette chronopile, géniale invention du docteur Isséo Santiahano :
Acte 3
Principe de l’effet ondulatoire, d’où causalité de cause à effet (et inversement).
Parce que plus pratique qu’un chronomètre, Isséo utilise un sablier.
On se rend à la poste et, en faisant la queue au guichet, on renverse un sablier. Au bout d’un certain laps de temps, la base de la clepsydre est emplie de sable. On dispose alors d’un sablier rempli de temps perdu. Pour le temps libre, il faut attendre les week-ends, les jours fériés ou les vacances.
1- Chargement de la pile : On pratique un minuscule trou dans la clepsydre afin d’y introduire un cathéter. Le savant empile des micro-disques gélatineux sur un bâton en ferrite.
Une fibre optique, le poil d’éléphant femelle du Burundi, espèce extrêmement rare, relie entre elles ces lamelles molles bien que chitineuses.
On relie l’autre extrémité de cette fibre sur une pompe Fisher, (une pompe d’aquariophile, donc). La sortie de la pompe sur le cathéter. On met en route la pompe et la chronopile se charge, le sable temporel se déverse sur les lamelles gélatineuses.
Quand la pile est chargée, un voyant s’allume ; Un capteur situé sur le disque supérieur déclenche l’allumage d’une diode LED. On stoppe la pompe et on débranche la durite. La chronopile est "chargée".
Des micro-électrodes établissent le courant sur les pôles opposés de cette pagode chinoise, provoquant une différence de potentiel ;
Un champ magnétique est induit, une puissante hystérésie se manifeste par une vibration désespérée des rondelles gélatineuses et néanmoins temporelles, telle une andouille de Guéménée parkinsonienne coupée en tranche, façon puzzle, d’où un phénomène ondulatoire.
Durant ce processus, cette ondulation est captée par de micro-rayons laser. Ces rayons sont eux-mêmes captés par des cellules optiques et transmis, via fibre naturelle (une fibre végétale produite par la fleur du haricot sauteur à la mousson, les jours de pleine lune) - transmis donc à un appareil extrêmement sophistiqué : Le barographe (jouant ici le rôle de transducteur)
Hardiment, le barographe décode les informations fournies par la fibre de la fleur du haricot sauteur. Les aiguilles de l’appareil s’agitent et tracent des courbes élégantes sur son célèbre rouleau de papier millimétré. Lors la magie opère.
C’est ainsi que l’on voit, les yeux emplis d’un étrange sentiment de fébrilité, d’ébahissement mêlé d’humilité (peut-être une légère frayeur ?) : Le déroulement du temps sur le papier rose.
Mais il s’agissait là de la version laboratoire, bien-sûr. Maintenant tout est miniaturisé à l’extrême et la 1ere version commercialisée de la chronopile n’était pas plus grosse qu’un potiron adulte.
Un assistant du professeur Isséo a dérobé 1 échantillon de sa dernière version de la chronopile sous forme de spray, dans l’armoire à pharmacie : Le chronospray leur permet de s’occuper tranquillement du coffre de la banque ...
Je sais, vous allez me dire en cœur : « Et l’alarme ? » Et bien l’alarme a bel et bien sonné, mais dans un autre temps ! Le temps de la valeur ajouté, en quelque sorte...
- Acte 4 - le temps de la révolte, où l’on verra que de ce que l’on a, se satisfaire l’on se doit.
Le monde entier s’intéresse à la Chronopile, à ses immenses applications que l’on pourrait en tirer. Les services secrets du monde entier sont à BECON-LES-GONESSES. Becon, la plaque tournante du trafic d’espion. On s’achète, on se vend, chacun fait son p’tit bizzness à Becon.
Il y a l’ex-KGB, l’espion qui venait du froid, la CIA, les tomawaks et les Pershings, le FBI, James Bond et le MI6, Interpol, MataHari, New Scotland Yard, le MOSSAD sont les têtes les plus cotées en ce moment à Bécon... Mais il y en a bien d’autres ! Tapi dans l’ombre, Ben Laden, le chevalier à la triste figure, rode. Bien sûr la DGSE, services secrets français, veille. Mais pas pour longtemps. M’est avis que ça va finir en une belle mayonnaise !
Et, funeste conséquence, baisse des embauches.
Le patron, ventripotent et nonobstant bedonnant, la brioche faisant craquer les boutons de chemise, l’air suffisant et satisfait, contemple sur son mur cathodique relié à son tout nouveau Kosstoss 695AZT Ultimate, l’ordinateur monstrueux des usines toulousaines, la courbe de croissance de son empire qui ne cesse de grimper. Bientôt un chalet de montagne à Mégève s’ajoutera à la maison de Honfleur, récemment acquise. Puis un mas en Provence, avec piscine, cuisine équipée, jacousi, accordéon-musette et salle de bal...
Et les syndicats, qu’en disent-ils ? Devant cette croissance économique les impôts vont-ils baisser ? Et les taxes ? Et le reste ?
Pour les petits, les humbles, les obscurs, les sans-grades, c’est toujours la même histoire. Ici rien ne bouge, ce n’est pas le luxe, le calme, et pas la volupté non plus.
Comme on l’a vu, cet appareil est réservé aux puissants, aux nantis, aux aristos, aux bourgeois de Calais.
Alors tous les salaries, employés, ouvriers, commerçants, artisans, qu’ils soient sur terre ou sur mer s’unirent pour une même cause ; dire non.
Dans la rue la colère monte... Un groupe d’ouvriers syndiqués arbore leurs banderoles en scandant : Unne seule mesur’ Un mèmtemps... Unne seule mesur’ Un mèmtemps...Unne seule mesur’ Un mèmtemps Unne...
Les syndicats, tous les syndicats, furent unanimes autant que catégoriques :
« Non, nous ne subirons pas une journée de plus le joug oppressant autant qu’ostentatoire du patronat vil, veule et bassement autoritaire d’aujourd’hui. Nous écoutons la vindicte populaire et approuvons leurs velléités légitimes, et, de fait, corroborons et paraphons la volonté de la masse salariale car s’il y a un temps pour tout, tout travail mérite salaire et par conséquent cette journée doublement payée sera ! Dont acte. »
Lors, le plus haut notable de Becon-les-Gonesses, j’ai nommé M. le professeur Isséo Santiahano, tel Vercingetorix à Alésia face à César et aux légions romaines, mit genou à terre et jeta les armes.
Ah ! Au fait j’ai oublié de vous dire pourquoi la journée du 30 février est férié ? Simple. Le professeur Isséo Santiahano a découvert le fameux chronomètre le 28 février. Depuis lors il n’a cessé de travailler à son invention.
Exactement un an et un jour après cette trouvaille, son Chronopile était fin près. (Au début il pensait l’appeler Chronaccus mais ses copains lui ont conseillé d’abandonner cette idée) Or l’année en cours n’était pas bissextile, il n’y avait pas de 29 février, nous étions par conséquent le 1er mars.
Pour montrer la force de son invention, Isséo convoque la presse et les médias. Dans son laboratoire, il avait précédemment emmagasiné 24 heures dans son Chronopile et, à la face de tous, appuie sur le bouton déclenchant l’ondulation, le phénomène vibratoire, et la chevillette cherra... On connaît la suite.
Puisque le temps qui s’écoule naturellement correspond aà la veille, le temps que l’on peut lire sur le barographe correspond donc au 30 février. Logique, non ? Le professeur déclare que tous les ans, bissextiles ou pas, il y aura un 30 février. 366 jours.
Il n’y aurait plus 2 poids, 2 mesures, 2 temps, 3 mouvements. Il garde son appareil, pour la science, il y aura toujours un trente février mais ce sera un jour férié. C’est le seul jour où il pourra se servir de sa Chronopile, cet appareil c’est l’œuvre de toute sa vie mais...
A trop vouloir bien faire, on ne fait plus que des c..............
3 février 2006